De l'une des sources du langage à un atlas aux images répandues, la bibliothèque a sans cesse nourri les idées créatives. Les artistes viennent y puiser des formes, des idées et des possibilités insoupçonnées. De l’idée cinématographique de « split-screen » - caractéristique d’une multi-image ou d’une polyvision - vers une approche des arts et du langage en constellation, cet événement propose un ensemble de dysfonctionnements infiltrés provisoirement dans cet ordre établi. Les artistes invité.e.s dans le cadre de cette soirée cultivent un rapport singulier aux mots et aux pages, à l'insularité, aux flux d'images, aux langages inventés, au son, au cinéma et au montage ; elles.ils cherchent à produire de nouveaux modes de lecture incluant des points d'entrée et de sortie multiples. Ces réalisations relèvent parfois de la collection, de la compilation, ou de formes de panoplies-archives en relation avec les œuvres aimées, non sans « philie » .

La bibliothèque représente habituellement un lieu d'étude, de contenu et de préservation ; son fonctionnement est proche de ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari nommaient le rhizome, système multicentre et non hiérarchique qui s'étend continuellement. Penser en réseau, en un groupement d'archipels, c'est penser la pluralité des échanges comme une multitude de flux déterritorrialisants et prolifères. Il s’agit d’exprimer une pensée par arborescence, comme réticulaire, par un système dans lequel n'importe quel point d'un rhizome peut être connecté avec n'importe quel autre, comme l'on peut passer d'un livre à un autre, d'un titre à un suivant. Cet ensemble de points est un système d'insularités, un réseau irrégulier d'éléments classés, concrets, semblables, opposés, abstraits ou oubliés, qui nous permettent de mieux analyser le réel. À travers les différentes strates de cet espace-plateforme, il s'agit de comprendre comment l'on vit sur son île, puis comment se situer par rapport à celles qui nous entourent, en définissant nos rapports communs et individuels à partir de ce lieu de ressources polymorphes.

Édouard Glissant, à propos de l'archipel : « La pensée archipélique convient à l’allure de nos mondes. Elle en emprunte l’ambigu, le fragile, le dérivé. Elle consent à la pratique du détour, qui n’est pas fuite ni renoncement. Elle reconnaît la portée des imaginaires de la trace, qu’elle ratifie. Est-ce là renoncer à se gouverner ? Non, c’est s’accorder à ce qui du monde s’est diffusé en archipels précisément, ces sortes de diversités dans l’étendue, qui pourtant rallient des rives et marient des horizons. Nous nous apercevons de ce qu’il y avait de continental, d’épais et qui pesait sur nous, dans les somptueuses pensées de système qui jusqu’à ce jour ont régi l’histoire des humanités, et qui ne sont plus adéquates à nos éclatements, à nos histoires ni à nos moins somptueuses errances. La pensée de l’archipel, des archipels, nous ouvre ces mers ».